Mes débuts avec la musique remontent aux années 70. Je façonnais des instruments à cordes à l’aide des boites de conserves et des fils pour la pêche, quand mon feu père m’a apporté une guitare de l’Espagne, j’avais 12 ans. Je commençais à jouer des morceaux de groupes marocains, entre autres, Nass El Ghiwane, Jil Jilala et Lamchahab. En fait, mon frère, Abdel-Ilah (plus âgé que moi de 5 ans) avait des copains qui venaient souvent chez nous, et l’un d’eux avait un banjo. Ils se regroupaient dans une chambre et commençaient à chanter. J’en avais beaucoup appris. J’étais ensuite attiré par le luth grâce à sa sonorité, son jeu, son timbre… mais à l’époque, je ne savais pas grand-chose sur les luthistes et les concertistes, je connaissais à peine Haj Younès. J’avais su qu’il enseignait au conservatoire et j’avais raté mon inscription trois ou quatre fois à cause des circonstances, mais en 1982, c’était pour de bon. Je me suis inscrit au conservatoire de ma ville Casablanca, sis au boulevard de Paris chez Haj Younès. Il m’avait fait subir un test pour savoir si je devais faire une année de solfège avant. Il a vu que j’avais une souplesse dans mes doigts de la main gauche sur le manche et une rapidité de la main droite concernant le plectre (la guitare m’y avait beaucoup aidé). Alors il m’a accepté, 1ère année luth et 1ère année solfège (chez un autre prof). C’était l’année scolaire 1982/1983. Voir ma 1ère leçon donnée par Haj Younès. Je n’avais pas encore de luth et j’ai passé toute ma 1ère année en m’exerçant sur la guitare à la maison, et sur le luth en classe (salle 19) puisqu’on avait pas encore entamé le quart de ton, donc je n’avais pas de souci à me faire.
Je remercie beaucoup Haj Younès.
Tout au long des trois premières années, je ne fréquentais que la classe de Haj Younès (et le solfège, autres profs bien sûr). J’étais très enthousiaste. Il y avait à l’époque M. Benouhoud comme Directeur, un homme d’apparence très sérieux et très sévère parfois, jusqu’à vous chasser au début d’un examen si vous avez oublié d’apporter votre carte d’inscription, et vous redoublez ! (J’étais déjà prof de luth quand il a quitté le conservatoire). Mais j’avoue que sous son égide, le conservatoire était bien respecté et avait un charme. On venait pour étudier. Pas de regroupement d’élèves ici et là dans les couloirs, c’était interdit. Pas d’absentéisme non justifié au niveau du corps professoral et des élèves. Il y avait un orchestre (dont je faisais partie avant que j'eus mon diplôme) qui faisait des répétitions chaque vendredi soir à la salle 17, et le Maestro, c’était lui bien sûr Il y avait de bons élèves et de bons profs dans toutes les disciplines, notamment le luth (puisque c’est ma vocation et l’objet de ce blog).
Dans ma classe de luth, Haj Younès était toujours satisfait de moi, jusqu’à m'intégrer dans son quatuor vers ma 4ème année. Il m’encourageait beaucoup et me confiait souvent l’apprentissage des élèves pour les aider et leur enseigner comment jouer les partitions et comment bien tenir le luth. J’apprenais toujours mes morceaux et s’il arrive qu’il y ait des partitions erronées, je les corrige et les montre à mon prof Haj Younès pour les approuver et en faire des photocopies aux élèves. Bref, la classe était on ne peut plus, charmée par Haj Younès et avant de nous donner un morceau à apprendre, il le jouait à sa façon. J’en étais ébloui par son jeu. Mon cher prof, je te remercie infiniment.
A la fin de ma 3ème année, j’ai découvert un autre prof, M. Abderrahim Zerhoun, qui m’a fait des remarques lors de l’examen pour passer à la 4ème année. Je l’ai vu aussitôt après dans sa classe (salle11). Je lui dois beaucoup aussi. Il m’a appris le côté technique.
Au cours de ma 5ème année (médaille), j’ai connu aussi M. Bouchaib Radi qui m’a beaucoup aidé sur le côté positions sur le manche (3ème, 4ème et 5ème position) lors de mes répétitions pour les examens de fin d’année pour avoir ma 1ère médaille.
J’étais toujours assidu à mon cours chez Haj Younès jusqu’à ma fin d’études et je fréquentais souvent M. Zerhoun et M. Radi.
En fait, ce sont trois écoles différentes qui se résument ainsi :
Haj Younès : jeu spirituel, nuancé, vif et rapide
M. Zerhoun : jeu technique, sec et sérieux
M. Radi : positions et finesse
La 1ère Médaille, c’était un point de pré départ pour moi vers l'avant. Un aboutissement et un fruit de 5 années. J’ai passé le concours public au théâtre municipal (Boulevard des FAR). S’en suivent le 1er Accessit, le 1er Prix et le 1er Prix d’honneur. Les concours publics se déroulaient dans différents théâtres de la ville de Casablanca.
Je n’ai jamais songé à faire carrière de professeur de luth jusqu’à ce que M. Benouhoud, le Directeur à l’époque, me l’ait proposé. J’ai accepté et mes profs d’hier devenaient mes collègues. Et par cette occasion, je les salue tous et toutes au fond du cœur et je les respecte. J’y suis jusqu’à l’écriture de ces lignes. J’ai enseigné aussi le luth et le solfège au conservatoire de Maarif près de 5 ou 6 ans en parallèle.
C’était un bref historique de ma carrière en musique et en l’occurrence le luth. J’évoquerai d’autres sujets au fur et à mesure tout au long de ces pages. Ce n’est pas grave si ça n'intéresse personne. En tout cas, c’est une façon pour moi de m’exprimer et de noter mon parcours, ce que je devais faire il y a longtemps. C’en est une aussi pour tracer un pont vers mes élèves et mes amis d’antan qui m’auront lu, de renouer nos connaissances et de retrouver tant de gens (élèves et amis) dont je n’ai plus de leurs nouvelles…
A la découverte
Les 3 écoles évoquées ci-dessus résumaient la situation du luth au conservatoire à l’époque, bien qu’il y avaient d’autres profs de luth. Autre que Haj Younès, Abderrahim Zerhoun et Bouchaib Radi, il y avaient Hariz, Barakat, El Moda, Ben Abed, Hanachi (que Dieu ait son âme), Bachir…
Si j’ai utilisé le terme « école », je faisais allusion à une complémentarité entre les 3 profs au niveau de l’apprentissage et de l’enseignement (Vous l’avez compris). Il fallait passer par ces chemins pour commencer le sien. Passer 8 années d’études avec réussite ne veut pas dire qu’on est qualifié. Contrairement à beaucoup d’élèves qui ne veulent qu’avoir des diplômes sans se soucier du profil d’un vrai artiste qu’ils devraient avoir. Ce n’est pas du jour au lendemain qu’on devient luthiste, concertiste, compositeur ou chercheur. Il faut associer la musique à beaucoup de points comme la préparation spirituelle, le don, la culture, l’éducation, la sérénité. Et cela, je le constate sur les élèves dès leur 1er jour en classe. La personnalité et le comportement, reflètent le fond. (Je peux savoir si un élève ira loin ou non).
Enseigner aussi le luth n’est pas facile du moment qu’on voudrait former des luthistes. Je ne parlerai pas des profs qu’on leur confie une classe après qu’ils ont eu leur diplôme et qui n’ont pas une seule notion de pédagogie et un niveau scolaire suffisant. N’en parlant pas aussi de ceux qui n’arrivent pas à déchiffrer une seule partition convenablement. J’éstime beaucoup M. Hariz Mohamed, un bon collégue, un vrai ami et un très bon luthiste.
Mon 1er affrontement avec le public commença d’abord avec la famille, les amis, la classe, les occasions de fêtes, les concours publics et pris son ampleur avec le quatuor de Haj Younès et les duos avec lui. Avec Haj Younès, j’ai participé à de maintes occasions et festivals dans différentes villes du Royaume… J’ai rencontré beaucoup d’artistes et hommes politiques.
Une découverte qui m’a beaucoup bouleversé, ému, charmé, ensorcelé… Une découverte d’un grand artiste luthiste, d’un virtuose hors du commun, une vraie école de luth, de compositions, un monde plein de charme, de maqamats (modes musicaux). Je l’ai vu sur la télévision lors de l’occasion d’une des fêtes nationales, fête de la jeunesse du feu Roi Hassan II (que Dieu ait son âme), quand chaque compositeur préparait une chanson pour l’occasion, et on les passait à
Ma 2ème découverte pour lui, était lors d’une tournée de 3 jours (Casablanca, El Jadida et Mohammedia). On y participait, notre quatuor, Said CHRAIBI et d’autres artistes étrangers sur le thème : « luth ». Quand il passait à son tour, je me souviens que j’étais collé à mon siège physiquement, mais évanoui et volant dans l’espace de plus de 4 dimensions, par son jeu divin et ses mélodies et rythmes diversifiés, taqassims, samais, polka… et depuis ce temps, je cherchais à collecter toutes ses compositions et les écrire, les jouer et les apprendre par cœur. Il ne passait pas un cours sans parler à mes élèves de Said CHRAIBI, et jusqu’à nos jours. Beaucoup ne le connaissaient pas, Je les sensibilisais à son jeu et à sa façon de composer, et sa grande culture et richesse en matière de notre patrimoine musical marocain et oriental. Tous étaient charmés, et il y en a même qui commençaient à jouer quelques uns de ses morceaux. C’était un genre de publicité que je faisais pour lui sans qu’il le sache. Il l’a su par la suite, et surtout quand un groupe de mes élèves lui demanda de le rencontrer (en 2007) et il a accepté volontiers et les a invité toute une demi-journée chez lui et les a bien accueilli. Merci mon cher Said pour ce grand cœur et pour ton apport à cet instrument qu’est le luth.
Presque tout le monde sait que tout commence par l’interprétation et l’imitation. Mais quand on interprète Said CHRAIBI, on sent qu’on ne joue pas n’importe quoi. Chacune de ses phrases pousse à découvrir un monde et incite à développer un jeu plus riche et plus fin, une synchronisation entre les 2 mains, un plectre magique… Rien n’est laissé au hasard. Bien-sûr que lui aussi a commencé par l’interprétation, entre autres, celle de Mounir Bachir. Mais il est allé trop loin, même trop trop loin. Qui n’a jamais écouté Said CHRAIBI, n’a vraiment pas su grand-chose sur le luth et de quoi on est capable – de quoi Said CHRAIBI est capable – de faire avec cet instrument. (J’aimerais bien jouer en duo avec lui un jour). Parler de Said CHRAIBI n’a pas de limites. Et je n’exagère pas sur tout ce que je viens de dire sur lui. Je suis indifférent quant aux critiques péjoratives vis-à-vis de lui. Si on n’a pas un cœur ouvert et une sensibilisation à l’art noble, si on n’a pas une initiation et une préparation naïve et propre et si on ne laisse pas libre cours à un cœur d’écouter et de laisser ouvert… on ne comprendra pas assez Said CHRAIBI. Il est « incritiquable ». Il a dépassé les limites et les normes pour le critiquer. Il est au dessus de toute critique. Pour pouvoir le juger, il faut arriver à un stade très avancé et avoir une base d’une grande culture et technique musicale. C’est une découverte d’un art d’une autre dimension tout simplement. Que Dieu te garde et te bénit mon cher Said. A suivre…